Masse Critique ?

Le terme de « masse critique » est utilisé dans plusieurs domaines des sciences notamment, et en particulier en physique nucléaire. Il désigne la quantité d’un matériau fissile nécessaire au déclenchement d’une réaction nucléaire en chaîne de fission nucléaire. La masse critique biologique est quand à elle une quantité minimum de bactéries à atteindre afin d’induire une expression de gènes particulier nécessaires au bon fonctionnement du métabolisme. Littéralement, une « masse critique » désigne donc un nombre, un volume ou une quantité qu’il est nécessaire d’atteindre avant qu’une réaction puisse avoir lieu.

Dans le domaine du vélo, il semble que les Chinois soient les premiers à avoir utilisé et mis à profit ce concept de « masse critique » : en effet, alors que le trafic n’était réglementé par aucune signalisation, les véhicules de type automobile ou camion s’imposaient naturellement, par leur nombre, leur volume et leur vitesse. Les cyclistes voulant traverser un carrefour devaient donc attendre de s’être amassés en nombre suffisant afin de pouvoir « forcer » le passage et ainsi couper le flux motorisé. La masse critique est atteinte.

Ces cyclistes chinois n’avaient probablement pas pour but, en s’agglomérant ainsi les uns aux autres, d’interroger sur l’occupation des routes par les véhicules motorisés. Cette question, ce sont d’abord les cyclistes étatsuniens qui l’ont posée ; en effet, alors que des manifestations cyclistes prenaient mensuellement place dans San Francisco depuis plusieurs années, le maire excédé par les « perturbations » provoquées par ces rassemblements cyclistes, tenta d’en interdire la tenue et fit arrêter quelques 200 personnes venues rouler ; il procéda également à la confiscation de centaines de vélos (des véhicules personnels à part entière, faut-il le rappeler ?). La masse critique était alors atteinte. Les décisions prises en faveur du système automobile de cette ville illustrèrent leurs limites. Ces démonstrations cyclistes firent résonance dans le monde entier, notamment à travers « Still we ride », un documentaire sur une répression similaire survenue à New York en 2004.

Évidemment, les Américains ne sont pas les premiers à avoir conduit de tels mouvements, mais aujourd’hui, ce sont bien les évènements de San Francisco qui font figure de symbole dans cette lutte (ne parlons pas de guerre :-) des cyclistes urbains contre le modèle « tout-auto-moto », généralisé dans toutes les grandes, moyennes et petites villes du monde.

Des mouvement appelés « vélorution », « carfree network », « placeOvélos » ou encore « Reclaim the streets » fleurissent sur les 5 continents et entretiennent les idées initiées par les premières masses critiques.

En France, les premières « Manifs à Vélo » étaient entrainées par les Amis de la Terre (source www.amisdelaterre.org). C’était au tout début des années 70. Dans le film l’AN 01 de Gébé et Doillon réalisé en 1972, on peut voir des milliers de cyclistes présents lors de ces manifs lancer des slogans comme « Bagnoles, ras-le-bol. Ça pue, ça pollue et ça rend nerveux ! » ou « des vélos ! pas d’autos ! ». La première crise pétrolière pointait le bout de son baril.

Aujourd’hui, des masses critiques se déroulent dans toutes les plus grandes villes de France, et ce, mensuellement. Faut-il les appeler « vélorutions » ? « fêtes de rue » ? « masses critiques » ? Peu-importe finalement. Quel que soit le nom qu’on donne à ces rassemblements, leur but a toujours été le même et ne varie que très peu selon les groupes de personnes ou collectifs qui les perpétuent : # passer un moment convivial autour de la culture du vélo # constituer le trafic (et non l’empêcher d’être fluide comme on l’entend parfois) # démontrer que le vélo est un objet parfait pour tisser des liens sociaux, au contraire des voitures # permettre aux cyclistes néophytes de faire une première expérience agréable et sécurisante du vélo urbain # faire preuve de responsabilité envers les choses (vivantes ou non) qui nous entourent # contester une approche uni-directionnelle des politiques publiques en faveur du moteur et de sa dépendance à l’énergie.

La liste est probablement à compléter, elle ne constitue qu’une ébauche des sentiments et sensations que l’on éprouve au cœur d’un tel mouvement.

Malgré les quelques efforts faits en matière d’aménagements cyclables par les municipalités, malgré les quelques lois ou décrets émis par nos gouvernements, malgré les nombreuses campagnes de communications (de qualité très variable) à propos du vélo, un constat demeure inchangé : le cycliste est le parent pauvre de nos villes, il subit quotidiennement les railleries de ses concitoyens motorisés. Le vélo est toujours considéré comme un loisir ou une discipline sportive ; minoritaires sont les gens qui le considèrent comme véritable moyen de se mouvoir, très rares sont les entreprises proposant des gratifications lors de l’utilisation de vélos par leurs employés, et aucune mesure fiscale n’est prise en faveur du vélo de la part de nos gouvernants.

Bien sûr, ces points ne sont pas soutenus par l’ensemble de la communauté cycliste ni par tous les participants de manifestations à vélo : tout dépend des individus qui composent la masse.

Vous en ferez peut-être... une fête ! une promenade ! une manif ! une rigolade ! une initiation ! une réclamation ! un festival ! une liturgie !

Bonne masse critique à tou-te-s !